L’orientation est une compétence fondamentale dès lors que l’on souhaite s’aventurer hors des sentiers battus. GPS, smartphones et même boussoles naturelles sont des outils techniques qui, soumis aux aléas du terrain, peuvent vite faire défaut. 

La navigation naturelle regroupe l’ensemble des connaissances et compétences qu’utilisaient nos aïeuls pour retrouver leur chemin et comprendre leur environnement.

Vous êtes-vous déjà perdu en forêt ? Cela m’est arrivé maintes et maintes fois alors que mon regard fouillait la litière en quête de plantes sauvages utiles et autres champignons comestibles. C’est un sentiment grisant, presque exaltant de se sentir aussi vulnérable dans un tel environnement. Mais c’est aussi l’occasion de surmonter cette difficulté au moyen de talents naturalistes qui m’ont amenés à découvrir une tonne de ressources naturelles que j’avais tendance à délaisser, à ignorer, dans ma pratique du bushcraft. Celles-ci m’ont ouvert un horizon fantastique : celui de comprendre comment les écosystèmes fonctionnent.

Une méthodologie à acquérir

Avez-vous déjà entendu dire que la mousse pousse au nord des arbres en forêt ? Ce poncif est erroné (nous en reparlerons plus tard) mais il illustre la capacité de mère nature à glisser des indices d’orientation pour qui sait observer son environnement. Dans le même registre, dire que le soleil se lève à l’est et se couche à l’ouest est une simplification outrancière qui peut mener à des erreurs significatives tout comme les techniques qui en sont dérivées (la fameuse méthode du bâton planté dans le sol par exemple).

Lors de nos sorties, nous préférons nous en remettre à des indices végétaux et animaux robustes qui, s’ils sont repérés de nombreuses fois, nous donnent une valeur statistique sur laquelle nous pouvons fonder nos déductions avec confiance. Les « boussoles naturelles » sont des indices faciles à repérer qui vous donneront immédiatement des informations pour vous orienter. Néanmoins, gardez à l’esprit que la nature se révèle plus complexe qu’un simple coup d’œil : multipliez les observations au moins 5 fois avant de déduire une direction. De plus, je ne peux que vous recommander de partir avec une boussole en poche. Ce petit objet vous permettra, lors de vos phases d’apprentissage et d’observation, de confirmer vos déductions. Avec la pratique, peut-être qu’un jour, vous pourrez carrément vous en passer !

Le navigateur au naturel suit une méthodologie pragmatique : il/elle cherche en premier lieu les indices qui lui sont le plus aisément accessibles pour s’orienter (ou prévoir la météo, trouver de l’eau, ou retrouver la civilisation) avant de diriger son attention vers les plus petits détails à interpréter. Nous recommandons alors de débuter vos observations par le ciel puis le paysage avant de passer aux plantes et animaux à proximité puis de terminer par le sol à vos pieds. Dans le cadre de cet article, nous nous limiterons aux plantes et animaux qui sont repérables lors d’une sortie en forêt, lorsque le ciel est embrumé et que l’horizon est illisible à cause du couvert végétal.

Avant de commencer, il y a une connaissance fondamentale à avoir sur la course du soleil dans notre hémisphère. Véritable clef de voûte de nos écosystèmes, il dicte la répartition des biotopes sur la planète, la morphologie végétale et l’installation des animaux :

En simplifiant, l’astre du jour se lève et se couche respectivement aux alentours de l’est et de l’ouest. Un décalage significatif vers le nord doit être noté en été et vers le sud en hiver. Cependant, quelle que soit la saison, il sera toujours parfaitement au Sud en milieu de journée (le midi de l’heure solaire vraie). Sa course le fait passer par le Sud-Est durant la matinée et le Sud-Ouest dans l’après-midi en toute saison. Il en résulte que l’astre du jour nous abreuve de ses rayons principalement depuis le Sud chaque jour entre son lever et son coucher. La végétation et certains animaux étant particulièrement sensibles à l’ensoleillement, voilà l’origine des quelques boussoles naturelles présentées dans cet article.

5 boussoles naturelles faciles d’accès

Mieux que voir, il faut observer. Observer pour repérer les signes que nous livre la nature et pour comprendre comment fonctionnent les environnements. Voici 5 boussoles naturelles faciles à identifier et à utiliser sur le terrain.

1. Les lichens

Concernant ces associations symbiotiques entre champignons et algues, la règle est simple : plus la couleur d’un lichen est franche, plus celui-ci est exposé au soleil (et donc au Sud). En pleine forêt et sur les écorces des charmes ou des érables, vous pourrez apercevoir des taches blanches comme si un indélicat avait tapissé les troncs de chewing-gums usagés. Il s’agit de lichens dont la pureté est d’autant plus marquée qu’ils sont ensoleillés. Les autres faces de l’arbre pourront montrer des individus dont la couleur vire au gris ou au vert glauque.

Sur les chênes, les murets et même en ville, les jaunes appelés Xanthories virent au jaune-orangés sur la face sud de leur support. Faites-en le tour et vous découvrir des patchs de Xanthories de couleur verdâtres !

2. Les biofilms d’algues

Toutes les algues ne se développent pas dans la mer ! Elles s’installent en forêt, comme les lichens, sur les écorces et les roches. Elles demandent un taux d’humidité assez élevé et certaines fuient le soleil et ses rayons nocifs comme la peste. Des coulées orangées sur les érables, les bouleaux ou les chênes et même sur les affleurements rocheux trahissent la présence d’algues du genre Trentepohlia qui s’installeront du côté le moins exposé de leur support.

Comme l’aiguille colorée d’une boussole, cet indice indique le nord et fait partie de ceux que nous avons très rarement pris en défaut. Une valeur sûre à repérer lors de votre prochaine sortie.

3. La forme des arbres

Qu’est-ce qu’une feuille si ce n’est un véritable panneau solaire végétal ?

Pour réaliser la photosynthèse qui leur est indispensable, les arbres tendent à orienter leurs branches vers la direction du principal ensoleillement. Sur un sujet isolé, cela résulte en une frondaison asymétrique, plus fournie vers le Sud. En forêt, référez-vous à la ramure des plus anciens arbres des parcelles. Ceux-ci, depuis leur haute stature, auront pu s’affranchir de l’ombre projetée par la canopée et étendre leur ramure du côté qui les intéresse. Méfiance avec les arbres en bord de route ou de chemin, ceux-ci sont parfois entretenus par la main de l’homme et ne pourront que vous guider vers l’erreur de déduction.

L’écorce peut aussi porter des indices intéressants. Notez cette fâcheuse tendance qu’ont les charmes à développer des milliers de nouvelles pousses à tous niveaux de leurs troncs et branches. Ces nouvelles brindilles seront plus nombreuses du côté Sud où vous pourrez aussi remarquer que l’écorce porte des motifs plus apparents : une sorte de maillage tapisse la surface de l’arbre et est d’autant plus visible que le tronc est exposé au soleil.

Attention, dans les lieux soumis à des vents forts, l’héliomorphose (l’influence du soleil sur le port de l’arbre) est contrebalancée par l’anémomorphose (déformation du port de l’arbre pour s’adapter aux bourrasques). En connaissant l’origine des vents dominants, ces arbres sculptés en drapeaux peuvent aussi être de bons indicateurs des directions.

4. Les fleurs

En tant qu’organe reproducteur, la fleur est d’une importance capitale pour la plante qui la porte. Certaines sont discrètes, d’autres sont ostensibles et se parent de couleurs chatoyantes pour le plus grand plaisir du randonneur. Pour former leurs graines, ces dernières sont souvent dépendantes d’une pollinisation assurée par des intermédiaires animaux : insectes volants ou oiseaux.

Même la plus belle des stars florales ne saurait être mise en valeur sans un éclairage digne de ce nom. Ainsi, de nombreuses hampes florales possèdent la capacité d’orienter les fleurs dans la direction du principal ensoleillement.

En bordure de chemin, les meilleures boussoles sont les digitales. Qu’elles soient de couleur rose (Digitale pourpre / Digitalis purpurea) en plaines ou jaunes en montagne pour les digitales jaunes et à large feuilles (Digitalis lutea et Digitalis grandifolia), leurs clochettes pointeront généralement vers le Sud.

Dans les sous-bois où règne l’ombre projetée par la canopée, les digitales peuvent perdre le nord mais d’autres petites clochettes peuvent vous aiguiller. Les jacinthes des bois (Hyacinthoides non-scripta) illuminent la litière forestière à l’arrivée du printemps. Leurs inflorescences bleu-mauves semblent s’orienter dans une direction particulière et leurs importants tapis permettent de dégager une tendance au premier coup d’œil. Elles vous indiqueront également le Sud.

De nombreuses autres fleurs permettent, en toutes saisons, de retrouver le principal ensoleillement : coquelicots, ajoncs, aubépine et sureau, sorbier. Du temps qu’elles ne sont pas exposées à des vents importants, elles constituent une boussole colorée à ajouter à votre bagage.

5. Les fourmilières

Les insectes sont incapables de réguler leur température intérieure (pas d’homéothermie) et sont dépendants de la lumière du soleil pour activer leur métabolisme. Les fourmis étant des travailleuses acharnées, elles cherchent à maximiser leur exposition pour prolonger leurs journées. Dans les terrains acides et sous les résineux, vous pourrez observer des fourmilières plantées au pied des arbres. Généralement, du côté Sud.

Vers la compréhension du monde naturel

Vous l’aurez compris, ces boussoles naturelles sont dépendantes de l’influence du soleil sur les paysages. Elles mettent également en lumière les interactions entre les différents rouages d’un écosystème.

Lors de mes stages et sorties, j’aime terminer toute initiation à la navigation naturelle par un petit exercice très simple. J’emmène mes stagiaires au coin d’une parcelle, à la croisée de plusieurs chemins et leur demande de retrouver la route vers le parking au Sud-Est. Avec un sens de l’observation aiguisé, ils parviennent à retrouver les boussoles naturelles déjà rencontrées :

En regardant vers le Sud (les stagiaires voient donc la face Nord des troncs d’arbres), ils repèrent le lierre dans sa forme juvénile ou la coloration orangée des algues.

En faisant demi-tour, ils regardent vers le Nord (ils voient alors la face Sud des troncs) et peuvent remarquer les lichens d’un blanc pur sur les charmes ou les Xanthories sur les érables.

Observations confirmées par la majorité des fleurs présentes sur les talus aux alentours ou la frondaison d’un chêne majestueux au pied duquel chacun y va de son hypothèse. Ils retrouvent aisément le Sud-Est.

Mais il s’agit ici d’un piège car pour retrouver son chemin vers la civilisation, rien ne vaut le fait de se fier à l’oreille (parking en bord d’une départementale fréquentée) et aux traces laissées par les autres : les chemins les plus empruntés dans une forêt sont toujours les plus larges et, aux croisements, leurs angles sont émoussés. Nul besoin, parfois, de s’obstiner à retrouver les points cardinaux !

Vous aussi, exercez-vous à identifier ces indices d’orientation au milieu de nulle part, en bord de route et vous pourrez bientôt « sentir » les directions. Si vos premiers efforts vous demanderont une lente réflexion à confirmer par l’usage d’une boussole, de véritables réflexes inconscients se développeront et vous saurez dire immédiatement où est le Sud aussi facilement que vous distinguez votre gauche et votre droite !

Revenons sur la mousse qui a besoin d’une forte hygrométrie pour se développer. Sur un support isolé et sans l’influence de vents trop marqués et humides, à bonne distance d’un point d’eau, alors oui, la mousse pourra se développer de préférence au nord de son support. Mais en forêt, sous les ombres projetées par les arbres environnants, selon la présence d’une mare ou selon la rugosité d’une écorce pouvant retenir l’eau, la mousse perd littéralement le nord et devient un indice erroné.

Comprendre les limites de ces boussoles naturelles est aussi un gage de sûreté pour celui ou celle qui souhaite évoluer en pleine nature à la seule force de ses yeux et de son esprit. Le monde regorge d’indices d’orientation, même en ville, et nous invite à contempler la nature comme navigateur et pas comme un simple passager gorgé d’indifférence, les yeux rivés sur un téléphone.

Alban Cambe