Tôt ou tard, si vous restez suffisamment longtemps en extérieur et loin de la civilisation, vous serez confronté au problème suivant : comment faire ses besoins dans les bois ?
L’action est pourtant si anodine quand on est en ville ou chez soi : trouver les toilettes les plus proches, allumer la lumière, s’asseoir confortablement sur la lunette des WC, scroller sur son téléphone un moment ou lire le journal, déposer ses selles au fond du bol, s’essuyer avec le papier toilette accroché juste à côté, tirer l’eau puis se laver les mains avec du savon et de l’eau chaude au lavabo le plus proche.
Reproduire la même action derrière un sapin (si tant est qu’il y ait un sapin !) pose toute une série de difficultés supplémentaires que je vais évoquer aujourd’hui.
Ce que vous pourriez faire
(mais que je ne vous conseille pas !)
Vous pourriez éviter totalement le problème en vous retenant… sur 24 à 48 heures, selon votre métabolisme et la réactivité de votre système digestif, ça pourrait encore passer. Au-delà, bonne chance ! Vous risquez de gros désagréments, ou de vous retrouver devant une urgence très embarrassante !
Vous pourriez aussi faire le gros dégueulasse, déféquer derrière un arbre, et remonter direct vos pantalons pour retourner vaquer à vos activités. Si vous avez renoncé à toute dignité, passe encore. Mais vos compagnons de randonnée, eux, risquent de ne pas apprécier. Sans compter les problèmes d’irritation de la région anale, provoqués par les restes d’excréments : les bactéries fécales vont proliférer dans ce milieu qui leur est très favorable (chaud et humide), et provoqueront rapidement des inflammations qui peuvent devenir gênantes.
Vous pourriez quand même vous essuyer, et renoncer à vous laver les mains puisqu’il n’y a pas de lavabo à disposition. Là encore, ce sont vos compagnons de camping qui risquent de ne pas aimer : si c’est votre tour de préparer le repas, vous risquez de les contaminer. Et si l’un d’entre vous se blesse et que vous intervenez sur une plaie ouverte avec les mains souillées, l’infection menace.
Enfin, vous pourriez faire les choses en règles : avoir votre rouleau de papier toilette et votre désinfectant, ou de l’eau et du savon pour vos mains. Mais que laisseriez-vous pour les suivants ?
Ceci ?
Et que feriez-vous si vous laissiez tomber votre papier toilette dans une flaque, ou que votre sac prenait l’eau et que votre rouleau se transformait en compote ?
Ce que vous devriez faire à la place
(et que je fais systématiquement !)
La discrétion et le respect de l’environnement
Ne laissez aucune trace derrière vous ! Les morceaux de papier toilette et les étrons disséminés dans les bois m’horripilent : c’est sale et irrespectueux pour les suivants.
Le principe de base est de s’éloigner des chemins ou des zones de campement, et de creuser un trou de 10 à 15 cm de profondeur, et d’un diamètre adéquat pour que vous puissiez viser juste. On trouve sur les sites spécialisés en matériel ultraléger des petites pelles en titane dédiées à cet usage, dont certaines ont même une arête dentée pour scier les racines. Elles vous serviront par ailleurs de sardine à neige, ou à creuser n’importe quel trou. Une petite pelle de jardin fera aussi l’affaire, mais pèsera un poids de cochon. Si vous devez improviser, creusez plutôt le trou avec un bâton ou une pierre plate.
Une fois faits vos besoins, enterrez proprement vos selles et le papier toilette (si vous en utilisez), puis rebouchez proprement le trou. Enfin, cachez la zone perturbée avec des feuilles ou des cailloux.
Les recommandations de Leave No Trace
Mes recherches sur internet à propos de ce sujet passionnant m’ont amené sur le site de Leave No Trace (LNT), une association basée au Colorado qui cherche depuis plus de 25 ans à éduquer le public à respecter la nature, et à minimiser l’impact des activités en extérieur.
Les recommandations de LNT pour faire ses besoins en milieu naturel sont très strictes, et tiennent compte de la proximité des points d’eau, de la dureté du sol, et du fait d’être dans un environnement désertique ou non.
Notamment, si vous ne pouvez pas vous éloigner d’au moins 60 m d’un point d’eau, ou si le sol est trop dur pour creuser votre trou, LNT recommande de vous soulager dans un sac, et d’emporter vos excréments. De même, si vous êtes dans le désert, ou si la législation locale ne vous l’autorise pas explicitement, vous ne pourrez pas enterrer votre papier toilette, et vous devrez l’emporter avec vous.
Ça peut sembler extrême, et les choses sont bien plus simples en allant en forêt par chez nous.
Rappelez-vous que, par rapport à devoir transporter ses étrons dans votre sac à dos pendant plusieurs jours, creuser un simple trou et le reboucher proprement n’est vraiment pas compliqué !
S’essuyer
Pour vous essuyer, vous pouvez vous en tenir au bon vieux papier toilette. Mais vous devrez le porter, le protéger de l’humidité, l’enterrer proprement, et peut-être le reprendre avec vous selon où vous êtes (voir l’encadré sur LNT ci-dessus). Si vous optez pour des lingettes humides (qui nettoient mieux les fesses que le papier toilette), ramenez-les systématiquement avec vous après usage, ou choisissez une marque biodégradable et enterrez-les avec beaucoup de soin. Si vous êtes dans une réserve naturelle ou un parc national et qu’il vous est demandé d’appliquer les principes de Leave No Trace et d’emporter lingettes ou papier toilette usagés avec vous, un sachet plastique refermable type Ziploc « anonymisé » en le recouvrant de duct tape fera l’affaire.
Vous pouvez également vous passer totalement de papier toilette, en optant pour le « bidet des bois » : munissez-vous d’une gourde (contenance : au moins 1 litre), d’un savon et d’un petit linge. Au moment de vous essuyer, humectez-vous légèrement une main, prenez un peu de savon sur le bout des doigts et rincez-vous les fesses avec le contenu de la gourde en frottant avec les doigts…
Il existe quelques accessoires pour vous aider, comme le « Culo Clean », une sorte d’embout à fixer sur le goulot de la bouteille, ou l’Aquabot de Lunatec, qui n’est rien d’autre qu’une gourde pressurisée. Tous deux permettent de former un jet fin et précis. Autre option : couper un petit bout du coin d’un sachet plastique (mais c’est moins facile à utiliser).
Une fois propre, essuyez-vous avec le linge.
Cette méthode comporte évidemment quelques défauts. Il vous faut de l’eau (mais elle n’a pas besoin d’être potable), et il vous en faut assez pour ne pas vous retrouver « en rade » au milieu de l’exercice, sans avoir atteint un degré de propreté adéquat. Vous devrez également consacrer un petit linge à cet usage, et il faudra éviter de l’utiliser pour vous essuyer autre chose que les fesses.
Finalement, par temps très froid, vous mouiller les fesses à grande eau n’est certes pas très engageant, mais vous évitera tout transport et toute manipulation de papier toilette. Surtout, si vous partez plusieurs jours loin d’une douche, ça vous garantira que votre région périanale reste la partie la plus propre de votre corps : moins d’odeurs gênantes, et pas de risque de démangeaisons comme évoqué plus haut…
L’hygiène des mains
Comme à la maison, l’hygiène des mains après être passé aux toilettes dans les bois est importante. Peut-être même plus, vu que vous mangez probablement plus avec vos mains lorsque vous êtes en extérieur.
Si vous avez opté pour la « méthode humide », vous aurez déjà un petit savon à portée de main, et vous pourrez utiliser le fond de votre gourde pour vous laver les mains. Deuxième option, un produit avec lequel nous sommes tous familiers depuis la pandémie du Coronavirus : le désinfectant pour les mains. Point bonus avec le gel hydroalcoolique : ça peut servir d’allume-feu !
La position
Dernier point à évoquer sur ce sujet passionnant : trouver une position confortable pour faire vos besoins sereinement. Si comme moi vous n’êtes pas fan des toilettes turques, la position « squat » vous sera particulièrement désagréable.
Heureusement il existe quelques alternatives :
- Le squat assisté ;
- Le squat assisté avec une sangle ;
- L’appui contre un arbre ;
- Assis sur un tronc.
Pour la première option, vous serez toujours en position de squat, mais vous pourrez vous aider en vous tenant à un arbre (au tronc, ou à une branche). C’est une option très intéressante à mon avis, car vous pourrez profiter des branches basses pour y accrocher votre matériel (rouleau de papier toilette, gourde, lampe…) pendant que vous faites votre affaire. Si de plus c’est un sapin, vous serez au sec (la pluie n’est donc plus une excuse pour ne pas sortir de la tente !). Un défaut, peut-être : au pied de l’arbre, le sol sera parfois dur à creuser et plein de racines.
La deuxième option nécessite un peu de matériel. Les Américains appellent ça le « Loop N’Poop » ou le « Strap and Crap » et malheureusement une fois de plus la langue française se prête très mal à nommer cette technique. En attachant une sangle à un arbre, et en la passant autour de votre taille, vous pourrez vous appuyer dans la boucle ainsi formée et soulager vos jambes d’une grande partie de votre poids corporel (pendant que vous soulagez vos intestins).
Laura Stude, inventeur du Loop N’Poop, parle de son prototype qu’elle tente de commercialiser via un financement participatif. Elle a même rajouté des boucles pour accrocher le papier toilette et le désinfectant. Il ne s’agit finalement que d’une grosse sangle avec un mousqueton, la fabrication est donc à la portée de n’importe qui et je ne vous recommande pas d’en acheter une (désolé, Laura). Attention : vérifiez que tout est bien fixé avant de commencer votre affaire !
Troisièmement, vous pouvez vous appuyer le dos contre un arbre. Cette technique m’attire moins, car si l’écorce est rugueuse, vous allez souffrir et l’effort à fournir s’apparente presque à un exercice de gainage !
Finalement, si dame Nature est sympa avec vous, elle aura disposé pour vous comme dernière option un tronc abattu suffisamment gros pour supporter votre poids, mais suffisamment fin pour que votre postérieur dépasse juste de ce qu’il faut par-dessus le tronc quand vous vous asseyez, afin que vos excréments puissent tomber jusqu’au sol. Un défaut relevé par les connaisseurs est que cette option est peu discrète. Si vous êtes timide, vous préférerez sans doute être derrière un arbre que sur celui-ci.
Pour conclure, rappelons qu’il est vivement conseillé, même à la maison, de relever ses genoux plus haut que ses hanches lorsque l’on défèque, par exemple au moyen d’un petit tabouret. Cette position permet d’orienter le rectum correctement, et favorise l’excrétion sans devoir pousser, diminuant ainsi la probabilité d’occurrence des hémorroïdes (ou d’une hernie inguinale).
Un exemple
Ce weekend, je suis allé bivouaquer avec mon père et ma fille (je vous en reparle une prochaine fois !). La nuit venue, j’ai dû aller me soulager sous un arbre. Voici mon kit, et mon installation :
- Petit pain de savon dans une boîte en plastique ;
- Embout Culo Clean ;
- Petit linge pour se sécher ;
- Désinfectant pour les mains ;
- Gourde ;
- Trou, creusé avec un bout de bois.
Les taupes m’ont bien aidé en ameublissant le terrain au pied du sapin. Je n’avais pas de pelle avec moi, et j’ai dû me débrouiller avec un bout de bois. J’ai pu me tenir à l’arbre, même s’il était un peu trop gros pour vraiment aider.
J’espère qu’après avoir lu cet article, vous serez plus à l’aise pour faire vos besoins solides dans les bois. Ce n’est que rarement un moment de plaisir, mais ces quelques conseils vous aideront sans doute. Mes recommandations quant à l’hygiène de la région périanale et celle de vos mains vous éviteront peut-être des problèmes de santé plus grave.
Et surtout, j’espère vous avoir convaincu de respecter certains principes de discrétion et de politesse, et de ne jamais laisser traîner votre papier toilette usagé !
Au passage, avez-vous remarqué ? Je n’ai pas utilisé le mot caca une seule fois !
Allez dehors et essayez !
Sylvestre Grünwald