La première fois qu’on entend parler d’aquaponie, l’image qui nous vient à l’esprit évoque souvent davantage une pratique équestre en milieu aquatique qu’une approche novatrice et durable de la culture des plantes et de l’élevage des poissons. Et pour cause, cette méthode de culture symbiotique millénaire reste aujourd’hui méconnue, particulièrement en Europe. Pourtant, elle possède un incroyable potentiel pour répondre aux crises liées à la demande croissante en denrées alimentaires dans un monde en proie à des défis climatiques de plus en plus importants.
Mariage harmonieux entre l’aquaculture (l’élevage de poissons) et l’hydroponie (la culture de plantes sans sol), l’aquaponie allie la croissance de légumes frais et l’élevage de poissons sains, le tout dans un écosystème clos, peu gourmand en eau, et sans l’utilisation de produits chimiques. Imaginez un système vertueux, où les déchets de poissons deviennent la nourriture des plantes, et où les plantes, à leur tour, purifient l’eau pour les poissons.
À l’échelle industrielle, l’aquaponie se positionne comme solution d’avenir répondant à des problématiques globales. Cependant, elle ne se cantonne pas à ce domaine, loin de là ! En effet, lorsque pratiquée par des amateurs au niveau domestique, elle permet à l’aquaponiste en herbe de se rapprocher de l’autosuffisance alimentaire de manière responsable, tout en apprenant plus sur les mondes animal, végétal et aquatique et les liens étroits qui les unissent. Une expérience complète en somme !
Cela dit, se lancer en aquaponie peut paraître particulièrement intimidant pour les débutants, surtout lorsque l’on n’a ni élevé de poissons, ni entretenu un jardin par le passé. Pas de panique pour autant. Avec quelques notions théoriques et beaucoup de patience et d’observation, l’aquaponie n’aura bientôt plus de secret pour vous. Dans cet article, nous allons tenter de vous donner les clés pour bien débuter et éviter les pièges qui pourraient vous couper dans votre élan, avant même votre première récolte.
Un peu de contexte
L’histoire de l’aquaponie remonte à plusieurs siècles, avec des premières formes de culture intégrée de poissons et de plantes en Asie du Sud-Est et en Amérique centrale. Cependant, le terme “aquaponie” lui-même n’est apparu que récemment, dans les années 1970, lorsque des chercheurs américains ont commencé à explorer cette méthode de culture de manière plus systématique. Les premiers systèmes modernes d’aquaponie ont été développés en utilisant des systèmes simples où les déjections de tilapias fertilisaient des plants de salades. De nos jours, l’aquaponie permet d’élever virtuellement toutes les espèces aquatiques d’eau douce comestible en harmonie avec tous types de végétaux, de manière plus ou moins efficace et énergivore selon les climats.
Le principe de fonctionnement de l’aquaponie est à la fois simple et ingénieux. Tout commence par les poissons. Placés dans un réservoir adapté à l’élevage de leur espèce, ils produisent des déchets riches en nutriments, principalement de l’ammoniac, lorsqu’ils respirent et excrètent. Cet ammoniac, en concentration élevée, serait toxique pour les poissons, mais il devient la source nutritive essentielle pour les plantes, grâce à l’action d’organismes microscopiques et pourtant essentiels, les bactéries.
Dans un système aquaponique, leur rôle consiste à transformer l’ammoniac en nitrites, puis en nitrates, absorbables par les plantes. Qu’elles soient présentes dans le lit de culture ou dans un compartiment séparé, elles assurent ainsi que l’eau contenant les déchets des poissons puisse être absorbée par les racines des plantes. Ce faisant, les plantes croissent et l’épuration de l’eau est assurée. Celle-ci retourne ensuite au bac des poissons, créant ainsi un cycle continu de réutilisation des ressources.
L’aquaponie offre plusieurs avantages distincts par rapport aux méthodes de culture classiques. Tout d’abord, elle permet d’obtenir des rendements plus élevés en moins d’espace, ce qui est particulièrement précieux pour les jardiniers urbains ou ceux ayant un espace limité. En outre, elle est beaucoup moins gourmande en eau que l’agriculture traditionnelle (jusqu’à 90% selon les estimations), car celle-ci est constamment recyclée dans le système. De plus, elle élimine le besoin d’engrais chimiques, car les nutriments proviennent des déchets des poissons. On évite ainsi la pollution de l’eau causée par les nitrates et les phosphates présents dans les engrais conventionnels.
Enfin, l’aquaponie offre une méthode d’apprentissage fascinante pour les jardiniers débutants, car elle combine l’élevage de poissons avec la culture de plantes. Elle offre également un potentiel de récolte rapide, avec une croissance des plantes souvent plus efficace que dans un jardin traditionnel.
De quoi ai-je besoin pour démarrer ?
Le bassin des poissons
Le bassin est une pièce centrale de votre système aquaponique, abritant vos poissons tout en servant de réservoir à l’eau riche en nutriments, essentiels pour la croissance des plantes. Il existe une variété de cuves disponibles, des bassins en plastique aux cuves en béton. Assurez-vous que celle que vous choisirez est d’une taille adaptée pour les poissons que vous souhaitez élever et suffisamment isolée pour ne pas subir de changements de température trop importants au fil des saisons, rarement appréciés par les poissons.
Le système de culture (les lits de culture)
Les lits de culture constituent l’espace où vos plantes prospèrent. Il existe plusieurs méthodes de culture aquaponique, les trois principales étant :
- Lits de culture classiques avec table à marées : Dans ce système, les plantes sont cultivées dans des lits remplis de substrat, comme de la pierre volcanique ou de la perlite. Une table à marées est utilisée pour inonder périodiquement les lits de culture, fournissant ainsi de l’eau et des nutriments aux racines des plantes.
- Culture sans substrat NFT (Nutrient Film Technique) : Cette méthode consiste à faire circuler un mince film d’eau riche en nutriments sur des canaux inclinés, où les plantes sont placées sans substrat. Les racines des plantes sont baignées en continu dans ce film nutritif, favorisant une absorption efficace des nutriments.
- Culture flottante ou culture sur radeaux DWC (Deep Water Culture) : Dans ce système, les plantes flottent sur l’eau du réservoir de poissons, leurs racines s’étendant dans l’eau. Des flotteurs, généralement en polystyrène, maintiennent les plantes à la surface. L’eau riche en nutriments est continuellement oxygénée pour favoriser la croissance des plantes.
La pompe et le système de circulation
Une pompe est essentielle pour faire circuler l’eau du bassin des poissons vers les lits de culture.
Assurez-vous qu’elle est de la bonne taille pour votre système et qu’elle fonctionne de manière fiable. La circulation de l’eau assure la distribution uniforme des nutriments aux plantes, quel que soit le système de culture que vous choisissez. N’hésitez pas à investir dans une pompe de qualité car elle constitue le cœur de votre système et son arrêt est vite fatal. Pensez également à toujours en avoir une de secours en cas de panne inopinée afin d’éviter les mauvaises surprises.
Le filtre
Dans un système aquaponique, le filtre occupe une place cruciale en assurant la qualité de l’eau et le bien-être des poissons et des plantes. Pour assurer l’équilibre de votre écosystème, il vous faudra assurer à la fois la filtration biologique et la filtration mécanique.
Filtration biologique
La filtration biologique est le pilier de votre système aquaponique. Elle est assurée par des colonies de bactéries bénéfiques qui se développent naturellement dans le système. Ces bactéries jouent un rôle essentiel en convertissant les déchets toxiques produits par les poissons, tels que l’ammoniac, en des substances moins nocives, notamment les nitrites, puis en nitrates, qui sont une source de nutriments pour les plantes. Ce processus, appelé cycle de l’azote, est indispensable pour maintenir un environnement sain pour les poissons et les plantes.
Les bactéries bénéfiques colonisent généralement deux zones principales du système : les lits de culture, où elles se fixent sur les racines des plantes et dans le substrat, et les filtres biologiques dédiés. Dans ces filtres, l’eau est souvent aérée à l’aide de pompes à air pour favoriser la croissance des bactéries, et elles décomposent efficacement les déchets organiques en nitrates.
Le succès de la filtration biologique dépend de l’équilibre entre la quantité de déchets produite par les poissons et la capacité du système à les décomposer. C’est pourquoi le démarrage d’un système aquaponique peut nécessiter quelques semaines pour que les colonies de bactéries bénéfiques atteignent des niveaux suffisants.
Filtration mécanique
La filtration mécanique, quant à elle, se concentre sur la capture et la suppression des particules solides en suspension dans l’eau, comme les débris de nourriture non consommée, les excréments de poissons et les résidus végétaux. Elle vise à maintenir une eau claire et à prévenir l’obstruction des conduites et des composants du système.
Les systèmes de filtration mécanique peuvent prendre diverses formes, dont le filtre à mailles fines, également appelé filtre à tambour ou filtre à grille. L’eau est forcée à travers ces filtres, capturant ainsi les particules en suspension avant que l’eau ne retourne au réservoir des poissons ou aux lits de culture.
Les plantes et les poissons adaptés aux débutants
Bien que sur le long terme, un système aquaponique permette de cultiver quasiment tous les types de végétaux, lorsque l’on débute, mieux vaut se concentrer sur les plantes moins exigeantes en termes de nutriments, souvent en quantité réduite au démarrage d’une installation. Ainsi, les plantes à feuilles comme les aromatiques (menthe, basilic, ciboulette…) et les salades vous permettront de vous faire la main facilement dans un premier temps.
Côté poissons, la question principale réside dans ce qu’on désire en faire. Ainsi, les poissons rouges et les carpes Koï sont souvent jugés appropriés pour les débutants car plus résistants et tolérants aux fluctuations de l’eau. Cependant, ces poissons d’ornement ne sont pas fameux pour le goût de leur chair… Si vous souhaitez consommer vos poissons une fois ceux-ci arrivés à maturité, de nombreux choix d’espèces s’offrent à vous tels que les truites, les carpes, les sandres, etc. Il faudra ici vous renseigner précisément auprès d’un spécialiste afin de vous assurer que vous pourrez offrir à vos occupants les meilleures conditions de vie possibles. Par exemple, une truite aura bien du mal à survivre dans une eau à plus de 20°c et est donc peu appropriée si vous vivez dans une région où le mercure à tendance à grimper rapidement. ¨
Démarrer son système
L’importance du cycle de l’azote dans l’aquaponie
Comprendre le cycle de l’azote est essentiel pour réussir en aquaponie. Ce processus biologique complexe est au coeur de la stabilité de votre système. Il permet de transformer les déchets toxiques produits par les poissons, principalement l’ammoniac (NH3), en substances moins nocives, à savoir les nitrites (NO2-) puis enfin les nitrates (NO3-). Ces nitrates, une fois formés, serviront de source de nutriments pour les plantes, favorisant ainsi leur croissance saine et robuste.
Le cycle de l’azote démarre lorsque de la matière organique se désagrège dans l’eau et se transforme en ammoniac, hautement toxique pour les poissons à des concentrations élevées.
Heureusement, des bactéries spéciales, appelées bactéries nitrifiantes, colonisent rapidement votre système. Il en existe deux types principaux : les nitrosomonas et les nitrobacter.
Les nitrosomonas sont responsables de la première étape du cycle. Elles transforment l’ammoniac en nitrites, qui sont encore toxiques pour les poissons, bien que moins que l’ammoniac. Les nitrobacter interviennent ensuite pour convertir les nitrites en nitrates. Ces derniers, en concentrations appropriées, ne sont pas nocifs pour les poissons et constituent une source de nourriture précieuse pour les plantes.
Lorsque les racines des plantes absorbent les nitrates de l’eau, elles purifient ainsi l’environnement aquatique pour les poissons, créant ainsi une boucle écologique symbiotique.
Choisir l’emplacement adéquat
L’emplacement de votre système aquaponique est un élément clé de sa réussite. Optez pour un endroit bien éclairé, mais évitez une exposition directe au soleil, car cela peut provoquer une augmentation de la température de l’eau. Assurez-vous que l’emplacement est stable pour éviter les déversements et les déséquilibres.
Assembler les composants
En fonction du système pour lequel vous optez, suivez attentivement les instructions fournies avec vos composants pour les assembler correctement. Veillez à ce que les connexions soient étanches pour éviter les fuites et les perturbations du système, ennemies numéro 1 de l’aquaponiste professionnel comme amateur.
Remplir le réservoir et l’initialisation du cycle d’azote
Remplissez le réservoir avec de l’eau non chlorée, de préférence de l’eau de pluie ou de l’eau déchlorée. Laissez le système fonctionner pendant quelques semaines pour que le cycle de l’azote s’établisse.
Une fois votre système aquaponique en place, il est essentiel de le gérer et de l’entretenir de manière régulière pour assurer son bon fonctionnement et la santé de vos poissons et de vos plantes.
Alimentation des poissons
Veillez à nourrir vos poissons de manière équilibrée et en fonction de leurs besoins spécifiques. Une alimentation de qualité contribue à la santé des poissons et à la qualité de l’eau. Évitez de suralimenter, car les excès de nourriture non consommée peuvent entraîner une accumulation d’ammoniac dans le réservoir, très dangereuse pour les poissons.
Surveillance des paramètres de l’eau
La surveillance régulière des paramètres de l’eau est cruciale pour garantir un environnement optimal pour vos poissons et vos plantes, et ce dès le lancement de votre système. Parmi les nombreuses données que vous pouvez récolter, il est particulièrement important de surveiller :
- Le pH : Maintenez le pH de l’eau dans une plage idéale pour vos poissons et vos plantes. Les poissons d’eau douce prospèrent généralement dans un pH compris entre 6,8 et 7,2, tandis que la plupart des plantes préfèrent un pH légèrement acide à neutre, autour de 6,5 à 7,0 ;
- La température : Maintenez la température de l’eau dans une plage appropriée pour vos poissons. La plupart des espèces couramment utilisées en aquaponie se développent bien à des températures comprises entre 18°C et 28°C, mais cela peut varier en fonction de la variété de poissons que vous élevez ;
- Les taux d’ammoniac, nitrites et nitrates : Surveillez régulièrement leur concentration. Les taux d’ammoniac et de nitrites devraient être maintenus à des niveaux indétectables, tandis que les nitrates peuvent être présents à des niveaux bénéfiques pour les plantes, généralement compris entre 40 et 120 ppm (parties par million).
Entretien du système
- Nettoyage des filtres mécaniques : Les filtres mécaniques, tels que les filtres à tambour ou à grille, doivent être nettoyés régulièrement pour éliminer les particules solides piégées. Un filtre obstrué peut réduire la circulation de l’eau et perturber le système.
- Taille des plantes : Taillez régulièrement les plantes pour éviter qu’elles ne deviennent trop envahissantes. Cela favorise également une meilleure circulation de l’air et de la lumière dans le système.
- Contrôle des nuisibles : Surveillez les éventuels nuisibles qui pourraient endommager vos plantes. Utilisez des méthodes de lutte biologique ou des répulsifs naturels pour les éloigner.
Gestion des maladies et des problèmes de poissons
Si vous remarquez des signes de maladie chez vos poissons, isolez-les rapidement et traitez-les conformément aux recommandations d’un vétérinaire ou d’un expert en aquaculture. La meilleure façon de prévenir les maladies reste toutefois le maintien d’une eau propre et d’un environnement le moins stressant possible pour les poissons.
Fertilisation des plantes
Vérifiez régulièrement les niveaux de nutriments dans l’eau pour vous assurer que vos plantes reçoivent suffisamment de nitrates. Si les niveaux sont trop bas, on peut soit envisager d’ajouter un engrais naturel compatible avec l’aquaponie pour stimuler la croissance des plantes, ou plus sûrement de redimensionner son système pour retrouver l’équilibre.
En suivant ces pratiques de gestion et d’entretien, vous pouvez maintenir un système aquaponique stable et productif. Soyez attentif aux changements et aux besoins spécifiques de votre système en fonction des espèces de poissons et de plantes que vous cultivez. Avec un entretien régulier, il produira sans doute une récolte abondante de légumes frais et de poissons sains pour votre propre plaisir et votre consommation.
La récolte
Après toutes ces étapes vient le moment de la récompense : la récolte.
Récolte des plantes
La période de récolte dépend du type de plantes que vous cultivez. Les herbes et les légumes à feuilles peuvent être récoltés régulièrement à mesure qu’ils atteignent la taille souhaitée. Les légumes à fruits, comme les tomates, nécessitent souvent un peu plus de temps avant d’être prêts. Soyez attentif aux signes de maturité, tels que la couleur et la texture des fruits.
Récolte du poisson
Si vous avez choisi d’élever des poissons de consommation, envisagez la pêche lorsqu’ils ont atteint la taille recommandée par les connaisseurs. Vous pouvez choisir de les abattre vous-même ou de faire appel à un professionnel. Ce n’est pas une étape à prendre à la légère, n’hésitez donc pas à récolter le maximum d’informations si vous souhaitez vous en charger.
Expérimentation et amélioration
L’aquaponie offre de nombreuses opportunités d’expérimentation et d’amélioration. Essayez de cultiver différentes variétés de plantes, de poissons et de systèmes de culture pour voir ce qui fonctionne le mieux dans votre environnement. Apprenez de vos erreurs et de vos succès pour optimiser votre système au fil du temps.
Partagez votre passion
Si vous avez réussi dans votre aventure aquaponique, partagez vos connaissances et votre expérience avec d’autres passionnés. L’aquaponie est une méthode d’avenir qui peut contribuer à la sécurité alimentaire et à la conservation des ressources naturelles, et votre expertise peut inspirer d’autres à s’engager !
Félicitations ! Vous avez maintenant une solide compréhension des bases de l’aquaponie et des étapes nécessaires pour bien débuter. Outre ses avantages incontestables, elle constitue bien plus qu’un simple système de culture ; c’est un véritable mode de vie qui enrichira votre alimentation comme votre compréhension de la nature.
Gardez toujours à l’esprit que l’aquaponie offre une expérience passionnante, mais qu’elle nécessite de la patience et de la détermination pour résoudre les problèmes qui se poseront forcément. Avec le temps, vous développerez une expertise précieuse pour vous et tous ceux avec qui vous la partagerez.
Bonne chance dans votre aventure aquaponique !
Guillaume Girault