Si vous me suivez depuis quelques temps, vous saurez que ma méthode préférée (et, avec l’expérience, quasi infaillible) pour allumer un feu est d’utiliser un firesteel, du fatwood, de l’écorce de bouleau et éventuellement de la résine.
Aujourd’hui nous allons explorer ensemble une autre voie : l’usage du silex et du fer à battre. Dans ce premier article, je vais vous expliquer comment préparer facilement du coton carbonisé, que vous pourrez emporter avec vous dans les bois, et qui permettra de recueillir les étincelles de votre silex.
Un autre article vous expliquera comment, une fois cette étincelle captée, poursuivre avec l’allumage du feu.
Silex, fer, amadou
- Du silex ;
- Un fer à battre ;
- De l’amadou.
Le silex
C’est paradoxalement cet élément qui risque d’être le plus dur à trouver, car le silex est mal réparti à travers le monde. Je sais qu’en Suisse, il n’existe que très peu de veines naturelles de silex de la bonne taille et de la bonne qualité.
Les morceaux de silex que j’utilise maintenant proviennent de l’île de Møn au Danemark, où j’ai eu la chance de passer il y a deux ans. Cette île est ceinturée de gigantesques falaises de craie, dans laquelle on trouve des nodules de silex en quantité invraisemblable. Il suffit de se pencher à peu près n’importe où pour en ramasser. Des études archéologiques ont démontré que les silex de Møn ont été retrouvés à travers toute l’Europe préhistorique (le commerce international fonctionnant déjà bien à l’époque !).
Je vous encourage à vous renseigner sur la géologie de la région où vous habitez, afin de déterminer s’il y a des veines de silex près de chez vous. Si vous en avez la possibilité, demandez au musée d’histoire naturelle, au bureau des mines, à un archéologue…
Faute de quoi, vous pourrez certainement en commander sur internet, mais ça enlève un peu du charme de la démarche !
Le fer à battre
Le cliché de l’homme des cavernes frappant deux cailloux entre eux pour produire des étincelles est faux… Il vous faudra impérativement un élément métallique à frapper contre le silex, sinon vous allez y laisser la peau de vos mains. La pyrite (l’or des fous !) ou la marcassite peuvent éventuellement faire l’affaire, mais pour vous faciliter la vie, un fer à battre est la meilleure solution.
J’ai trouvé le mien lors du même voyage en Scandinavie qui m’avait permis de récolter du silex. J’ai pu me le procurer dans un petit musée d’artisanat régional suédois, qui vendait des objets traditionnels.
Parmi les pistes pour vous en procurer un, je peux vous suggérer les fêtes médiévales, le maréchal-ferrant ou le forgeron du coin (s’il en reste un près de chez vous), ou éventuellement la fabrication maison (forgé à la main serait la grande classe, ou sinon travaillé dans une vieille lime à métal).
L’amadou
Par amadou, on entend ici toute matière apte à « prendre » une étincelle et « garder » une braise suffisamment longtemps pour générer assez de chaleur pour enflammer d’autres matières sèches.
Vous utiliserez l’amadou indifféremment pour toutes les techniques de feu « primitives » comme le feu par friction ou avec le silex. Vous pouvez aussi évidemment l’utiliser pour capter les étincelles de votre firesteel.
Contrairement au fatwood dont je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises, l’amadou ne s’enflamme pas directement avec l’étincelle, mais devient incandescent. C’est la chaleur générée par cette braise qui va éventuellement enflammer d’autres matériaux.
L’art de démarrer un feu avec de l’amadou, outre produire l’étincelle initiale, réside donc essentiellement dans la sélection et la préparation adéquate des matériaux secs que vous enflammerez avec votre braise. Nous y reviendrons dans un prochain article.
Notez que le nom « amadou » vient initialement de l’amadouvier, un champignon poussant sur les troncs d’arbre, dont il est possible d’extraire une couche à la structure spongieuse et dont la texture rappelle le cuir. Celle-ci peut être préparée à la maison (séchage, bain de salpêtre…) ou sur le terrain (séchage au soleil).
Par extension, le nom d’amadou est utilisé pour toutes autres substances permettant de capter l’étincelle de départ.
Et donc, l’amadou spécifique dont je vous parle aujourd’hui est simplement de la fibre végétale carbonisée. Le matériau le plus fréquemment utilisé est le coton, sous forme tissée. Le terme anglais est « char cloth », donc « tissu carbonisé ».
La carbonisation
La carbonisation (ou carbonification) est une transformation chimique de la matière organique (composée a minima de carbone, d’hydrogène et d’oxygène) sous l’effet de la chaleur ou de la pression.
Dans notre cas, c’est l’effet de la chaleur à l’abri de l’air, soit la pyrolyse, qui nous intéresse.
Il s’agit en fait d’une combustion incomplète de la matière organique, qui va éliminer l’hydrogène et l’oxygène, de sorte que la matière résiduelle soit composée principalement de carbone après combustion (c’est du charbon !).
Le matériel
Le processus que l’on va chercher à reproduire ici (la carbonisation) est donc l’application de chaleur (au moyen d’un réchaud ou d’un feu de bois) à de la matière organique (du tissu non synthétique, du coton ou de la corde) à l’abri de l’air (dans une boîte fermée).
Pour cette démonstration « à la maison », j’ai utilisé le matériel suivant :
Mon réchaud à gaz
Ce serait plus glamour de le faire sur un feu de bois, mais pour vous présenter les paramètres de manière un peu plus contrôlée, j’ai préféré le faire au réchaud (chaleur constante, démarrage et fin du processus précises).
De la matière organique à carboniser
Dans cet article, je vous fais la démonstration avec deux matériaux différents : des rondelles d’ouate en coton pour se démaquiller, et des morceaux de cordes de sisal. Dans les deux cas, il s’agit bien de matière organique végétale. Si vous utilisez comme moi du cordage, assurez-vous qu’il n’y a pas de matière synthétique additionnelle, qui risquerait de fondre.
On retrouve souvent comme référence sur internet l’utilisation de tissu en coton, par exemple des morceaux de jeans. Je ne démontre pas cette méthode ici, car la corde en fibre naturelle présente apparemment de meilleurs résultats.
Une boîte métallique
Celle-ci doit être suffisamment grande pour tenir sur votre réchaud, et vous permettre de carboniser assez de matière à la fois, mais pas trop grande non plus. L’objectif étant d’atteindre des conditions de pyrolyse, donc de combustion sans oxygène, un trop grand volume intérieur laisserait trop d’oxygène autour de la matière organique.
Dans le même ordre d’idée, cette boîte devra être le plus étanche possible. Veillez donc à ce que le couvercle soit bien ajusté.
Il faudra également percer un trou (2-3 mm de diamètre) dans le couvercle, pour permettre aux gaz de pyrolyse de s’échapper, ce qui vous donnera un contrôle visuel sur l’avancement de la combustion.
Pour ma part, j’ai trouvé une boîte qui contenait un kit à feu acheté dans un magasin de surplus militaire.
La méthode
Préparation
Disposez vos rondelles d’ouate ou vos tronçons de corde dans la boîte, et fermez bien le couvercle.
Pyrolyse
Posez la boîte sur votre réchaud, et allumez celui-ci au feu le plus bas possible (pas besoin d’aller trop vite !).
Au bout d’une trentaine de secondes environ, vous allez voir sortir un petit filet de fumée par le trou. C’est le début de la pyrolyse.
La quantité de fumée éjectée par le trou augmente progressivement, et après une minute environ, vous allez produire une belle quantité de fumée autour de votre réchaud. Evidemment, vous devrez faire ça en extérieur, et réfléchir au sens du vent !
Après un moment, la quantité de fumée redescend progressivement, et vous pouvez couper le feu quand il n’y a plus que quelques fumerolles.
Le temps total consacré à la pyrolyse dépend de la quantité de matière organique à carboniser dans la boîte. Logiquement, plus la boîte est remplie et plus le matériau utilisé est dense, plus le processus prendra long.
Pour donner un ordre de grandeur, la pyrolyse des trois rondelles d’ouate a pris environ 2 minutes, et celle des tronçons de corde en sisal environ 4 minutes et 30 secondes.
Après avoir coupé le feu, laissez votre réchaud et la boîte métallique refroidir convenablement.
Voyons maintenant le résultat !
Le produit
Une fois la boîte refroidie, vous pouvez l’ouvrir et constater l’effet de la carbonisation.
La structure générale des rondelles et des tronçons de corde reste conservée, même si les rondelles ont un peu rétréci.
Vu qu’il ne reste plus que les atomes de carbone (tout le reste ayant été consumé), le produit est totalement noir.
La texture est cassante pour les tronçons de corde, et un peu moins pour les rondelles.
Variantes
Comme on le verra à l’usage, ces deux matériaux ont quelques défauts. Les rondelles d’ouate se consument extrêmement vite, et manquent de densité. Quant aux tronçons de corde, ils tiennent la braise beaucoup plus longtemps, et dégagent beaucoup de chaleur grâce à leur densité, mais en raison des fibres courtes du sisal, se révèlent très cassantes une fois carbonisées. On risque de les réduire en une myriade de paillettes en les frottant trop fort entre ses doigts.
Je reviendrai sans doute dans d’autres articles sur la carbonisation d’une corde en coton avec des fibres plus longues et moins cassantes, celle du bois pourri (« punk wood » en anglais), et pourquoi pas de tampons hygiéniques, si j’en trouve en pures fibres végétales.
L’usage
Dans une deuxième partie, j’explorerai pour vous l’usage du silex, du fer à battre et de la corde carbonisée pour allumer un feu.
Ou comment, avec ceci…
…arriver à cela :
Conclusion
Toutes les techniques d’allumage de feu sans flamme directe, comme le feu par friction ou grâce au silex, nécessitent une bonne préparation du matériel, puis une bonne maîtrise de la technique.
Vous pouvez vous faciliter la vie en préparant et en emportant avec vous certains éléments. Un amadou comme de la corde carbonisée, permettant de capter facilement l’étincelle de votre silex et de garder la braise suffisamment longtemps, est relativement facile à préparer à la maison.
Allez dehors, et essayez !
Sylvestre Grünwald