Imaginez la situation suivante : vous êtes dans les bois, transi de froid. Vous devez absolument allumer un feu pour vous réchauffer. Mais à part une boîte d’allumettes presque vide et un vieux paquet de mouchoir, vous n’avez rien en poche…Heureusement, vous êtes dans une forêt de résineux, la chance est de votre côté !
Il existe dans les forêts peu entretenues, des allume-feu naturels parmi lesquels on compte le fatwood, l’écorce de bouleau et la résine. Ces trois allume-feu composent une chaîne d’allumage dont l’ordre rigoureusement respecté, vous assurera à coup sûr, un feu réussi !
Je vous fais part aujourd’hui de mes méthodes pour m’en procurer.
C’est quoi le fatwood
Pendant longtemps le fatwood (ou bois gras en bon français) était pour moi une sorte de produit mythique réservé aux bushcrafters américains, ou un truc qu’on pouvait commander sur internet sous forme de petits bâtonnets tout beaux tout propres avec un trou pour y mettre une ficelle, produits en massacrant des forêts de séquoias millénaires.
Jusqu’au jour où j’ai fait l’effort de m’y intéresser de plus près et où j’ai réalisé qu’il y en avait en abondance tout autour de moi dans les nombreuses forêts de résineux de ma région, qu’il suffisait de très peu d’effort pour s’en procurer, et qu’en acheter sur internet était un gros gaspillage d’argent.
Le fatwood (désolé pour les puristes du français, je n’utiliserai que le terme anglais dans cette rubrique) est fondamentalement un morceau de bois saturé de résine.
Donc, par définition, on n’en trouve que dans les forêts de résineux… ou sur internet.
Le fatwood du commerce
Si vous n’avez pas de forêts de conifères près de chez vous, vous pouvez en commander sur internet sous la forme de petits bâtonnets comme ceux qui sont « taillés à la main dans du bois de Pino del Ocote » et « utilisés par les Mayas comme bougies et briquets depuis 3 800 ans ». Ils sont labélisés FSC et vous couteront environ 12 euros le kilo (hors frais de port), ou ceux que vendent la firme suédoise Light My Fire et qui proviennent du Pinus montezumae au Honduras (et labélisés PEFC).
Je vous donne les sites où je les trouve sur internet :
www.hajk.fr
www.militaershop.fr
Mais si vous voulez faire l’économie de cet achat, trouvez une forêt de conifères, et lisez la suite !
Comment se forme le fatwood ?
Le fatwood se forme là où la résine se concentre, soit principalement dans la souche de l’arbre, et (ce qui nous intéresse aujourd’hui), à la jonction des branches avec le tronc.
Sur un arbre vivant, on trouvera évidemment de la sève à ces endroits là (ça fait partie du métabolisme normal de l’arbre). Il est possible de récolter un peu de fatwood en sciant une branche au ras du tronc, en la coupant en biais et en grattant le cœur de la branche. Le bois dans cet état ne sera pas forcément le plus intéressant, puisqu’il sera encore « frais », et la résine peu concentrée. De plus vous « abimez » un arbre vivant
Récoltez sur du bois mort !
Je préconise de ne récolter votre fatwood que sur des arbres morts. À la mort de l’arbre, la résine aura tendance à se concentrer à ces emplacements. Comme elle est imputrescible et hydrofuge, le bois saturé en résine résistera très longtemps à la décomposition, alors que le reste du tronc se désagrégera lentement. C’est cette propriété qui nous intéresse pour ma méthode.
La situation qui vous demandera le moins de travail est la suivante :
- Tronc au sol ;
- Suffisamment décomposé pour avoir perdu l’écorce ;
- Suffisamment décomposé pour que le tronc soit pourri ;
- Pas trop décomposé non plus sinon il n’y a plus rien ;
- Avec des moignons de branches de 3 à 5 cm de diamètre ;
Cette liste semble assez restrictive, mais en réalité dans une forêt de résineux naturelle, on trouve énormément d’arbres comme ça. Il faut bien entendu que la forêt ne soit pas sur-entretenue ou exploitée trop intensivement (coupe rase).
La tendance depuis quelques années pour la sylviculture et l’exploitation forestière est de laisser un maximum de bois mort dans les forêts (soit les branches après une coupe forestière, soit les vieux arbres morts ou les arbres abattus par le vent).
Ce bois non récolté représente une aubaine écologique pour le cycle de la nature, en permettant à de nombreux animaux d’y trouver refuge, aux décomposeurs de recycler entièrement l’arbre…et aux amateurs de bushcraft d’y trouver du fatwood !
Branche vs souche
La résine se concentre également dans la souche, mais y récolter du fatwood s’avère à mon avis plus compliqué.
L’accès à la zone chargée en résine, au cœur de la souche, nécessite beaucoup plus de travail. Vous trouverez peut-être une souche taillée à la tronçonneuse, mais je préfère en récolter à la base des branches que je trouve même dans une forêt non exploitée !
Trouver et préparer du fatwood
Pour vous démonter à quel point trouver, préparer et utiliser du fatwood est simple dans le contexte d’une forêt naturelle de résineux, je vais vous illustrer l’intégralité du processus en vous racontant mon expérience.
Un mardi après-midi, je suis allé faire le goûter avec mes enfants dans la forêt, après avoir récupéré ma fille aînée à la sortie de l’école.
Nous sommes allés nous promener dans une forêt de conifères à environ 1200 m d’altitude, fondée sur un ancien éboulement (une « ovaille »).
C’est un endroit magnifique où je vais souvent avec eux pour m’aérer ou pour passer une nuit sous tente.
C’est une forêt naturelle et mature, avec de nombreux vieux arbres, une majorité de résineux mais quand même quelques feuillus, et une magnifique couche de mousse et de sphaigne qui tapisse le sol vallonné.
Trouver le bon arbre mort !
En redescendant à notre véhicule, je trouve cet arbre mort au bord du chemin :
À l’œil et par expérience, je sais déjà que j’y trouverai du fatwood. Il répond à plusieurs de mes critères :
- Il n’a plus d’écorce ;
- Il semble suffisamment décomposé, mais sa surface est sèche, et il n’est pas entièrement recouvert de mousse ;
- Il a de nombreux « moignons » de branches du bon diamètre, dont plusieurs sont bien verticaux et éloignés du sol où ils auraient pris l’humidité.
Prélever une branche
Je constate immédiatement en bougeant un des « moignons » de branche que j’ai vu juste : la branche se détache très facilement du reste du tronc. Si vous trouvez un tronc de résineux dont les branches résistent à vos efforts, c’est qu’il n’est pas encore assez décomposé.
Dans mon cas, l’intérieur du tronc est complétement pourri, on voit par sa couleur rougeâtre qu’il est humide et décomposé.
Séparer la zone riche en résine du reste
Il s’agit maintenant d’accéder au cœur de la jonction entre la branche et le tronc, en enlevant un maximum de bois pourri ou non chargé en résine.
Le bois pourri se détache très facilement. Vous pouvez le gratter avec votre couteau. Vous sentirez sous la lame quand vous atteindrez le fatwood, car il est beaucoup plus dur.
La partie de la branche la plus éloignée du tronc est de moins en moins chargée en résine, il ne sert donc à rien d’en conserver une grande longueur.
Séparer le morceau en deux
Une fois le morceau bien nettoyé (vous devez sentir que le bois qui reste ne laisse plus de sensation d’humidité sur les doigts), vous pouvez mettre votre nez dessus : à ce stade déjà, vous devez sentir une odeur de résine se dégager du bois, plus forte que celle du bois décomposé.
Vous pouvez maintenant fendre le morceau en deux pour accéder au cœur du fatwood.
Selon le diamètre du morceau de bois que vous avez choisi, une simple pression sur le dos du couteau avec votre main suffira à le séparer en deux. S’il est plus gros, vous procéderez par bâtonnage.
Les morceaux ainsi fendus dégageront une odeur de résine bien plus forte, et vous verrez la teinte orangée du bois. Vos bâtonnets de fatwood sont maintenant prêts à l’emploi !
Trouver de l’écorce de bouleau
Le bouleau est assez facile à identifier dans une forêt avec son écorce blanche et ses feuilles en pointe.
L’écorce superficielle se détache comme du papier. Elle est idéale pour propager la flamme créée par les copeaux de fatwood et la maintenir quelques secondes de plus. Les bouleaux sont assez rares dans nos forêts, alors quand vous en voyez, n’hésitez pas à en prélever l’écorce. La chaleur dégagée par la combustion de l’écorce de bouleau est suffisante pour liquéfier et enflammer la résine.
La poix et la résine
La résine (ou la poix, comme on dit par abus de langage en Suisse romande… la résine étant de la poix brute !) est très inflammable. Un torchon enduit de résine et noué au bout d’un bâton pourrait vous servir de torche.
Cette résine sécrétée par les conifères va vous servir d’amadou pour démarrer un feu, même en temps humide. Dans la chaîne d’allumage du feu, la résine vient en dernier. Dès qu’elle atteint une température critique, la résine s’enflamme à son tour et engrange un phénomène d’auto-combustion. Elle tiendra la flamme pendant plusieurs minutes.
Où trouver la résine ?
Pour récolter la résine, cherchez les blessures sur les troncs d’épicéas (Picea abies) : branches coupées ou arrachées, entailles sur l’écorce. C’est le meilleur endroit !
Vous pourrez en récolter en quantités impressionnantes, plus ou moins sèche, liquide ou collante selon l’âge et la taille de la blessure.
Comment la récolter ?
Idéalement, la résine récoltée doit être molle. Évaluez sa texture au doigt ou au couteau, si elle est bonne, vous pourrez la récolter et en former une boule. Si elle est trop liquide, vous vous engluerez les doigts…
Cette résine a une texture de pâte à modeler, et ne colle pratiquement pas aux doigts. On peut en façonner une boule
Si la résine est trop sèche et s’effrite, grattez au couteau au-dessus d’un mouchoir pour réunir les morceaux et emballer la résine.
Récolte de la résine sèche en la grattant au-dessus d’un mouchoir.
L’écorce de bouleau peut aussi remplacer le mouchoir ! À condition d’en repérer un à proximité…
Astuce : les pustules du pin de Douglas
Sans mouchoir ni écorce, la poix sèche ou collante est quasiment impossible à allumer avec l’étincelle du firesteel…
Vous devez donc trouver quelque chose qui « prenne » facilement l’étincelle de votre firesteel et qui fournisse ensuite suffisamment de chaleur pour enflammer la poix.
Dans ce cas, je vous conseille de regarder du côté d’un autre conifère : le sapin de Douglas (Pseudotsuga menziesi).
Sa résine, très liquide et qui dégage une agréable odeur citronnée, se trouve dans les pustules de son écorce.
Elle est difficile à récolter en grande quantité mais suffisamment volatile pour s’enflammer grâce à l’étincelle du firesteel !
Stockez vos allume-feu dans un « kit à feu »
En plus de l’utiliser sur place, vous pouvez récolter la résine pour la stocker à long terme dans votre kit à feu. Le plus simple est de la conserver dans un sachet « zip-lock »
Choisissez une résine ni trop sèche, elle finirait en poudre et serait presque inutilisable, ni trop humide, elle collerait dans votre kit.
Une astuce est de la stocker dans un mouchoir en papier, pour éviter qu’elle ne colle ou ne se perde.
Vous aurez alors de quoi allumer un feu pour vos prochaines sorties, même en plein milieu de forêt de feuillus !
J’emmène toujours un morceau de fatwood avec moi (j’en ai une boîte pleine à la maison…), mais je continue à en récolter chaque fois que je peux et je n’ai jamais commandé de fatwood des Mayas sur internet !
Je vous encourage à explorer la nature et les bois aux alentours de chez vous, et d’y recenser le maximum de ressources utiles au bushcraft.
J’étais persuadé pendant des années que je n’avais pas de fatwood à portée de main, alors qu’en réalité j’en ai à ne plus savoir qu’en faire !
Allez dehors, et essayez !
Sylvestre Grünwald